Hiroshima, la Cité de la Paix
Notre prochaine étape est Hiroshima. Nous ne savons pas trop à quoi nous attendre dans cette ville si profondément marquée par l’Histoire. Nous effectuons le trajet entre Osaka et Hiroshima en Shinkansen, ces trains japonais à grande vitesse comparables à nos TGV. Munis du Japan Rail Pass, nous pouvons prendre n’importe quel Shinkansen (mis à part le Nozomi), sans réserver, autant de fois que nous le souhaitons, sur une période limitée. Cette formule, réservée aux étrangers, est vraiment pratique. Nous embarquons ainsi à bord du Sakura train de la West Japan Railway Company. Notre train quitte la gare de Shin-Osaka à 15h59.
Prendre le Shinkansen au Japon est un réel plaisir : d’apparence, le train a une allure magnifique – profilé, luisant, il ressemble quelque peu à une anguille géante. L’intérieur des wagons est spacieux, relaxant, confortable. On peut aisément incliner le dossier du siège sans déranger la personne derrière. En outre, on trouve tout ce dont on a besoin dans ces trains : le wagon dispose non seulement de prises pour brancher téléphones portables et laptops, mais aussi de distributeurs de boissons et d’une zone aménagée pour les fumeurs.
La vitesse est incroyable : il ne faut que treize minutes pour atteindre Kobe ! Puis la grande conurbation Osaka-Kobe laisse place à des paysages vallonés d’une grande beauté. Le sud-ouest de l’île de Honshu regorge de villages, de rivières et de collines qui tranchent avec le panorama de verre et de béton qui nous entourait à Osaka.
Néanmoins, les paysages enchanteurs ne s’éternisent pas ; nous atteignons rapidement notre destination, 2h30 seulement après le départ.
A peine arrivés, nous sommes surpris par la foule qui afflue de toute part, se rassemble et part dans une direction commune. Ces gens-là sont tous vêtus de rouge et arborent fièrement des drapeaux ou des casquettes à l’effegie des « Tigers ». Nous ne tardons pas à réaliser qu’un match de baseball doit bientôt avoir lieu. Pourquoi ne pas se joindre à eux ? Ce ne peut être qu’une bonne expérience à vivre !
Nous déposons ainsi nos valises à l’hôtel que nous avons réservé à côté de la gare, puis prenons le chemin du stade, sans Henri, notre ami franco-japonais, qui ne s’est pas complètement remis des excès nocturnes à Osaka.
L’affiche de la soirée : Hiroshima Tigers vs Hanshin Tigers (l’équipe d’Osaka). L’expérience est purement inouïe. Même si le public est tout aussi passionné, voir un match de baseball au Japon n’est en aucun point comparable avec un match de football en France. Ici, l’atmosphère est bon enfant ; on ne ressent aucune animosité. Peut-être nous trompons-nous, en tout cas Henri n’est pas là pour nous traduire les chants proclamés, mais c’est l’impression que nous ressentons.
Se balader derrière les travées du stade est un régal : on y trouve une multitude de snacks proposant toutes sortes de cuisines rapides japonaises. Au loin, le parking à vélos est bien garni. L’ambiance est familiale, mais de nombreux businessmen sont venus aussi, directement après leur travail. On voit les supporters regagner leur place avec leur bento box ou leur bol de ramen ; ils semblent prendre au moins autant de plaisir à avaler leur repas qu’à profiter de l’action sur la pelouse. La propreté de l’enceinte est remarquable : de nombreuses poubelles de tri sélectif ont été installées, et chacun prend son temps de bien débrasser ses déchets avant de retourner s’assoir.
Nous engageons la conversation avec les deux couples de jeunes assis à côté de nous. Etudiants en Lettres, ils profitent de ce cette période guère chargée pour s’amuser le soir. Je dis à la petite amie de mon voisin que je suis surpris de voir autant de filles dans le stade. « Nous, les filles, on y comprend rien au baseball, explique-t-elle, mais on vient car certains joueurs sont vraiment trop beaux ! ». Ah, c’est donc pour ça !
N’y comprenant rien non plus au baseball, nous quittons l’arène avant la fin, sans vraiment savoir qui menait au score à ce moment-là. L’essentiel n’était pas là.
Décidés à essayer les spécialités locales, nous récupérons Henri au passage puis entrons dans l’un des restaurants situés entre la gare et le stade. Ici, on mange des okonomiyaki, mais à la façon Hiroshima : elles sont fourrées aux soba (pâtes à base de farine de sarrasin). Repas succulent.
Le lendemain matin, nous nous réveillons tôt pour visiter l’île de Miyajima, dans la mer intérieure de Seto, l’un des lieux les plus extraordinaires du Japon.
Pour y accéder : 40 minutes de train avec la JR Sanyo pour aller jusqu’à Miyajimaguchi (porte d’entrée de l’île de Miyajima), puis une petite traversée en ferry d’une dizaine de minutes seulement pour atteindre l’île de Miyajima, dominée par le Mont Misen.
La première vision est saisissante : au dessus des eaux s’élève le O-Torii, le grand portail du sancutaire d’Itsukushima, qui n’est autre que l’un des symboles les plus connus du Japon.
Classé au Patrimoine Mondiale de l’Unesco, le sanctuaire d’Itsukushima incarne toute la beauté artistique de l’architecture nippone du XIIe siècle (à l’origine, le sanctuaire avait été bâti au Vième siècle, puis entièrement reconstruit au XIIème).
Du port, on accède au sanctuaire après avoir traversé la rue commerçante d’Omotesando, riche de ses nombreuses boutiques d’artisanat local.
On sent une atmosphère particulière sur cette île, qui invite le visiteur au reccueillement. D’ailleurs, l’île d’Itsukushima serait considérée, dans la religion shintoïste, comme une île sacrée. Il n’y a ainsi ni maternité ni cimetière sur l’île, car ce statut interdit que l’on y naisse ou que l’on y meure.
La marche pour accéder au sommet du Mont Misen est des plus ardues. Petits joueurs, nous optons pour la montée en télécabine – réservant la marche pour la descente.
La vue du sommet est merveilleuse : on ne distingue plus la moindre trace de civilisation – seulement des grandes étendues d’eau, des îlots éparpillés dans la mer de Seto, et une luxuriante forêt primitive qui recouvre l’île sur laquelle nous nous trouvons.
La descente à pieds, jonchée d’un nombre infinie de marches inégales, est particulièrement éprouvante et longue (près de 2 heures). N’empêche, elle récompense tous les efforts : au milieu de érables se cachent des cascades, des cours d’eau, des temples, et même des daims.
Affamés lors de notre retour en ville, les alléchantes photos illustrant les plats du Za-Watami (1-5-8 Ootemachi, Naka-ku, Hiroshima-shi, Hiroshima) nous attirent directement à l’intérieur de ce restaurant. En fait, il s’agit d’un izakaya, autrement dit, une sorte de brasserie version japonaise. Au menu : divers plats japonais, mais aussi plats européens revisités (carbonara japonaise, paella japonaise, etc.), et surtout, de nombreux alcools. Les sushi et yakisoba me conviennent à merveille.
Désireux de boire une bière après le repas, nous cherchons un bar animé en ville. En vain. A vrai dire, ce n’est pas le soir le plus propice de la semaine pour sortir. Finalement, un Hawaiien installé ici nous recommande le Kemby’s (2-9-13 Otemachi, Naka-ku, Hiroshima). Un bar de style américain, dont la clientèle est composée d’expats et de Japonais. Ecrans télé avec match de baseball japonais, salle de billard, vaste choix de bières japonaises et américaines. Parfait.
Mercredi matin. Dans le tramway nous conduisant au Musée d’Hiroshima pour la Paix, je demande à la femme assise à côté de moi si l’entrée du musée se trouve bien dans le Parc de la Paix. Elle me répond : « oh, le musée d’Hiroshima… Oui, il se trouve bien dans le parc… Mais je n’y vais jamais ; c’est bien trop triste ! ».
Avant même de mettre les pieds dans le Musée de la Paix, il suffit de se promener dans le Parc du Mémorial de la Paix pour être submergé par l’émotion. La première vision est terrifiante : le Genbaku, ou Dôme de la Bombe Atomique, se dresse ici et résiste au temps. Isolé dans le parc, ce grand bâtiment rappelle à tous que la ville, autrefois, s’étendait jusque là. Situé à l’épicentre de l’explosion, le Dôme Genbaku est le seul bâtiment dans un rayon de 2 km2 qui subsiste depuis le 6 août 1945. Il a été préservé en l’état, en mémoire de cette tragédie.
Poursuivant notre chemin à travers le parc, nous passons devant le cénotaphe du mémorial pour les victimes de la bombe. Construit par le célèbre architecte japonais Kenzo Tange (comme bon nombre de bâtiments dans le Parc), le cénotaphe commémore les 140 000 victimes de l’explosion atomique. L’épitaphe qu’il comporte est bouleversante : « Puissent les âmes reposer ici en paix, pour que l’enfer ne soit pas répété ». De l’autre côté du bassin brûle la flamme de la paix, laquelle restera allumée tant qu’il y aura des armes nucléaires.
Plus loin, nous voyons le Monument des enfants pour la paix. Celui-ci rassemble des origami (pliages en papier) en forme de grues, symbole internationale de paix, en provenance du monde entier. Là aussi, difficile de ne pas être touchés par les gestes de tous ces enfants.
Nous arrivons devant l’entrée du musée. Mes amis Eric et Jean-Christophe, déjà profondément marqués, décident de s’arrêter là. Ainsi, seuls Henri et moi poursuivons la visite du musée consacré à l’évènement du 6 août 1945. En fait, le Musée de la Paix recueille et expose des objets abandonnés par les victimes, des photos et d’autres documents retraçant l’horreur de cet événement, auxquels s’ajoutent des expositions décrivant Hiroshima avant et après le bombardement, ainsi que d’autres présentant l’état actuel de l’ère nucléaire.
Chaque salle est empreinte de peine, de colère, de douleur ; d’incompréhension également. La visite, est dure ; elle fait froid dans le dos. Mais on en ressort plein d’espoirs. Hiroshima s’est relevé et œuvre désormais pour la paix universelle. Les habitants d’Hiroshima, derrière leur maire Kazumi Matsui, espèrent une paix durable et l’élimination finale de toutes les armes nucléaires de la planète.
L’énergie positive et la vitalité qui se dégagent d’Hiroshima sont extraordinaires. Les gens n’ont pas oublié, mais ils ont le sourire et le regard tourné vers l’avenir ; vers un monde qui ne peut être que meilleur.
Nous récupérons nos bagages ; c’est l’heure de quitter Hiroshima, une ville qui nous aura marqués comme peu de villes auraient pu le faire en si peu de temps. Le tramway remonte Heiwa Odori, l’artère principale de la cité. Les hauts buildings se succèdent, tous plus hauts les uns que les autres, mais je ne peux m’empêcher de penser au Genbaku, le Dôme de la Bombe A, qui résiste au temps comme une cicatrice qui ne s’effacera jamais…