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Dans les entrailles du WestPac Stadium pour suivre les Hurricanes

Quel que soit le moyen de transport pour venir à Wellington, on ne peut pas le rater. Le WestPac Stadium, ou The Cake Tin (le moule à gâteau), comme l’appellent affectueusement les locaux. Il se dresse là, en plein milieu du port industriel, le long de l’autoroute, à proximité de la gare centrale.

A Wellington, il ne faut pas se fier aux apparences. En fait, le WestPac ressemble plus à une soucoupe volante venue tout droit d’un téléfilm des années 60 qu’à un moule à gâteau. Un air de nostalgie souffle déjà sur ce stade inauguré au tout début de l’an 2000, à une époque où les Christian Cullen, Jonah Lomu et Tana Umaga faisaient vibrer la terre ovale en pratiquant le rugby d’une autre planète.

A cette époque, les Hurricanes ne gagnaient pas, mais leur rugby était digne de cette enceinte ultra moderne de 35 000 places.

Aujourd’hui, les choses ont changé. Enfin, pas tout à fait. Les Hurricanes ne gagnent toujours pas, mais leur rugby ne fait plus vibrer personne.

Vendredi 8 mars, 18h30. A peine plus de 8000 supporters – les derniers qui ont gardé la foi – s’apprêtent à investir la grande carcasse argentée. Ils ont définitivement la foi : l’équipe n’a plus gagné le moindre match officiel depuis près de 10 mois, tandis que la dernière apparition du club en playoffs remonte à la saison 2009 – une éternité. Considérée par certains comme l’équipe la plus décevante de l’histoire du Super Rugby, les Hurricanes n’ont jamais fait mieux qu’une place de finalistes, en dépit d’un casting All Stars qui a vu défiler, au fil des années, des légendes sacrées telles que Lomu, Cullen et Umaga, mais aussi Jerry Collins, Ma’a Nonu, Piri Weepu, Conrad Smith et bien d’autres encore.

Suivant les indications très précises du chargé de communication de la franchise, je retire mon accréditation presse dans un petit bureau bien caché à l’extrémité du mur des guichets. Une accréditation presse pour le petit blog de rugby qu’est Super Rugby News : bienvenue en Nouvelle-Zélande. Confirmation : le Super 15 est bien aux antipodes du Top 14, et pas seulement sur le terrain.

Ce n’est pas la première fois que je me rends au WestPac, mais là, avec ce précieux sésame en poche, je me sens un peu perdu. Et je vais où, maintenant ? C’est la question que je pose à l’employée qui s’ennuyait au point Informations situé sous la tribune Sud. « Ah, bonne question ! », me répond-elle, comme si elle n’avait jamais vu de reporters pénétrer dans la soucoupe. « Attendez, je vais vous aider. Suivez-moi, on va aller voir Nathalie, qui s’occupe des VIP et des partenaires. Elle doit savoir ».

On traverse plusieurs salles, jusqu’au centre d’accueil VIP. Effectivement, Nathalie sait beaucoup de choses. C’est ce que je me dis en l’observant, tandis qu’elle répond promptement à mille questions par téléphone. En revanche, mon pass semble la déconcerter. « Reporter, étage 4, salle 8… » répète-t-elle inlassablement en plissant les yeux devant mon accréditation. Quelque chose ne tourne pas rond. Heureusement, Nathalie prend les choses en main. « Allô, Graham ? C’est Nathalie. Il y a un reporter ici. C’est bizarre, son pass mentionne le 4e étage. Je le fais passer au 3e étage ». La situation m’échappe. « Allez voir Graham, il vous indiquera le chemin, tente de me rassurer mon interlocutrice.
– Graham ? Mais c’est qui ? Je le trouve où lui ?
– Ah, c’est la première fois que vous venez ?, me répond Nathalie d’un ton légèrement agacé.
– En presse, oui…
– Bon, suivez-moi, on va voir Graham ».

L’escalier en fer qui mène jusqu’à Graham semble interminable. Il ne faut pas avoir le vertige. Tout en haut de l’escalier se dressent Graham et son imposant trousseau de clés. La cinquantaine bien tassée, Graham est l’un des vestiges du moule à gâteau. « Première fois que vous venez ? », me demande Graham, sourire en coin – comme pour souligner mon insouciance. Il est vrai que plusieurs dizaines de journalistes se sont cassés les dents ici, à essayer d’expliquer à tout un peuple pourquoi une équipe composée des meilleurs joueurs de la planète n’était pas capable d’aligner trois passes sans faire tomber un ballon. Le mystère n’a jamais été élucidé.

Ventre bedonnant et cheveux graisseux au vent, Graham accélère le pas. Nous voici dans les entrailles du WestPac ; la route est semée d’embûches. On franchit plusieurs ponts métalliques flottant au dessus des baraques à frites, on enjambe des caisses contenant des bières et de l’eau. Quelque part sous nos pieds, on distingue le son du train qui déverse son flot de joyeux supporters en provenance de la Hutt Valley. « Ce soir, ils sont persuadés qu’on va gagner », me confirme le Maître des clés dans un accent à couper au couteau.

Le chemin continue. Graham transpire déjà. « La route est longue, mais ça fait du bien de marcher, hein ? ». Le gros Graham est essouflé, mais il a l’air heureux de montrer son WestPac à un visiteur. D’un pas cadencé, on traverse désormais les loges, les bars VIP, les salons… On y est presque – la grosse porte métallique tout au bout d’un énième couloir indique « Presse ». Un mastodonte chargé de sécurité se dresse entre Graham et moi. « Il est avec toi ?
– Oui, répond Graham.
– Très bien ». Le mastodonte s’écarte et me salue révérencieusement. Je me dis que pour être à l’aise au WestPac, mieux vaut connaître Graham.

On passe en revue les différentes cabines : télévision, radio, presse écrite… « Vous êtes quoi, vous ? », me demande enfin Graham. Tiens, c’est vrai, je suis quoi au juste ? « Eh bien… un site web ».

« Bon… presse écrite alors », m’indique-t-il après une petite réflexion avant de me quitter définitivement.

Hormis un journaliste assoupi dans un coin, la salle est vide. J’observe les lieux et remarque que les deux télés installées dans la pièce diffusent le tiercé. Premier constat : pour qu’on nous montre du tiercé à la place du rugby, c’est qu’on doit vraiment s’ennuyer pendant un match des Hurricanes. Une demi-heure avant le coup d’envoi, les journalistes arrivent groupés. Ils connaissent le chemin – ce sont tous des habitués. Ils sont sept. Deuxième constat : les Hurricanes ne font pas recette auprès de la presse écrite. Et si l’on décompte les reporters australiens, il ne reste plus grand monde…

« Ce n’est presque plus la peine de venir », me déclare de façon désabusée Allan du Dominion Post. « C’est toujours la même histoire, poursuit-il : les Canes attaquent le match avec de bonnes intentions, ratent quelques franches occasions, puis se mettent à faire n’importe quoi avant de perdre bêtement un match qui était à leur portée. En conférence de presse, on connaît le discours : ‘ce n’est pas la faute du coach, nous les joueurs sommes responsables, bla-bla-bla…’ – voilà quatre ans que ça dure ».

20 minutes avant le coup d’envoi, branle-bas de combat. Un employé vient d’entrer en agitant une feuille A4. « Changement de dernière minute !, hurle-t-il à notre petite assemblée. Hadleigh Parkes forfait, remplacé par Cardiff Vaega !. Tout le monde se regarde, interloqué. Cardiff Vaega ? Mais c’est qui ?

Féru de ITM Cup, je connais ce joueur, d’autant plus que j’ai déjà interviewé son ami Marty McKenzie. « C’est le centre du Southland, fils de To’o Vaega, l’ancienne légende du rugby samoan ». Sept paires d’yeux encore plus interloqués se tournent brusquement vers moi. Qu’est-ce qu’un Frenchy va nous apprendre sur le rugby de l’hémisphère sud ? Allan sort de sa sacoche le Guide 2014 des Hurricanes, Steven du Canberra Times consulte Google via son iPhone, et Mark, le community manager des Brumbies, parcourt les notes inscrites dans le programme officiel du match.

Les trois ou quatre Kiwis de l’assistance poussent un long soupir. J’entends l’une des voix grommeler : « Pfff… encore un nouveau qui sort de nulle part… Eh bien, c’est pas gagné… ». Pauvres ‘Canes. Le poste 12 est devenu le véritable maillon faible de cette équipe qui comptait encore dans ses rangs, il n’y pas si longtemps, un certain Ma’a Nonu. Depuis, les choses ont bien changé. Rey Lee-Lo, qui avait fait une très bonne saison en 2013, a fui chez les Crusaders. Tim Bateman, trois-quarts centre ô combien taentueux, est absent pour plusieurs semaines en raison d’une blessure au genou. Quant à Hadleigh Parkes, son remplaçant attitré pour la saison 2014, le voilà forfait pour ce match important face aux Brumbies.

Cardiff Vaega donc. Un rookie, 0 match de Super Rugby à son actif. Face à lui, un Wallaby, Pat McCabe, qui n’aurait pas dû jouer ce match à cause d’une vive douleur au cou. Ne cherchez pas plus loin la différence sur ce match.

Mais un match n’est jamais joué d’avance. D’autant plus que l’ouvreur Beauden Barrett est dans un grand jour. 6-0 après vingt minutes, puis 13-3 à la demi-heure de jeu, suite à un essai rageur du demi-de-mêlée local, TJ Perenara ! Je me lève, j’applaudis et me rassois aussitôt après avoir réalisé que je n’étais pas dans une tribune de supporters. En presse, on vit les matchs différemment : on glousse quand un type se prend un ballon en pleine poire, mais autrement, non, un minimum de retenue.

13-3. Le match s’arrête là pour les Hurricanes. Les Brumbies, eux, continuent de jouer, bien entendu. 13-10, 13-15, 13-22… Vaega rate ses plaquages et les Australiens Jesse Mogg et McCabe galopent gaiement sur la pelouse du WestPac, tandis que les deux écrans télé retransmettent toujours le tiercé. Depuis notre tribune de presse, on entend un supporter crier : « Je ne reviendrai pas la semaine prochaine ! », en référence au prochain match des ‘Canes à la maison face aux Cheetahs. Le score s’arrête finalement à 21-29. Les Brumbies empochent le point de bonus offensif grâce à leurs quatre essais. Les locaux, eux, repartent bredouille.

Sitôt la rencontre terminée, les journalistes présents se ruent vers la porte de sortie. Graham nous attend au coin de la cabine radio. Il vient tout juste d’ouvrir la porte blindée donnant accès au terrain, et par conséquent aux vestiaires. Australiens et Néo-Zélandais, à vive allure, dévalent les rangs qui les séparent de la pelouse et des joueurs. Allan, le plus âgé du lot, mais aussi le plus athlétique, montre la voie en véritable sauteur de haies. Il est talonné de près par Steven.

Plus tard, en conférence de presse, l’exemplaire capitaine Conrad Smith prend la parole. Il n’y voit aucune explication : « ce n’est pas la faute du coach… ». On m’avait prévenu, ce n’est pas la peine de venir aux matchs des Hurricanes. Pourtant, j’y serais bien retourné la semaine suivante ! Vivre une rencontre du Super 15 de l’intérieur est un pur régal. Malheureusement, les vacances sont terminées, un avion me ramène en France quelques 48 heures plus tard. Je devrai patienter de longs mois avant de revoir une rencontre de Super 15. En attendant, un grand merci aux Hurricanes pour m’avoir ouvert les portes de ce moule à gâteau si savoureux.