La nuit où Tokyo ne m'a pas attendu
À Tokyo, j'ai compris qu'il n'était pas bon d'enchaîner cuite sur cuite sur fond de nuits blanches... Car vient un moment où tout dérape, la fatigue et l'alcool vous rattrapent, mais Tokyo ne vous attend pas, Tokyo n'en a cure, Tokyo poursuit son chemin à toute allure...
À Tokyo, les journées passent vite, les soirs aussi, et comme vous n’en avez pas beaucoup, et que vous réalisez que c’est déjà l’avant-dernier ce soir, vous voulez profitez, vous lâcher… ça se comprend. Alors vous êtes chaud pour un début d’apéro dans la chambre de l’auberge de jeunesse, et même si Fredo n’est pas bouillant, ce n’est pas grave car vous vous dîtes que Ricou de toutes manières vous suivra, et qu’ensuite il vous sera facile de motiver le Fredo… Vous descendez donc et ramenez une bouteille de whisky japonais et une boite de noodles du Seven Eleven. Bien que vous soyez très fatigué, vous êtes persuadé qu’un bon bol de noodles englouti entre deux gorgées de whisky bien frais (le tout assorti d’un petit Crow Dragon Tea en fond sonore) vous redonnera force et motivation.
Certes les noodles sont tièdes car vous n’avez pas compris comment fonctionnait le four micro-ondes dans la salle commune, et, certes, le whisky n’est pas frais car vous n’avez pas de verre pour accueillir les glaçons que vous vous êtes procuré à la réception, et, certes encore, la musique grésille car les piles n’ont pas été rechargées, mais vous passez outre, car vous vous accrochez à l’idée que c’est l’avant-dernier soir et qu’il faut absolument passer une soirée mémorable (Fredo vous a prévenu que le lendemain soir, il ne sortirait pas en raison de l’heure très matinale de son avion du retour).
Comme désormais Fredo est chaud, et que la bouteille de whisky s’est vidée, vous allez en chercher une autre. Vous n’avez peut-être plus beaucoup de yen en poche, mais vous vous dîtes que c’est l’avant-dernier soir, alors autant en profiter. Puis vous regardez l’heure, et réalisez qu’il ne reste plus beaucoup de temps avant la fermeture de la station de métro. Vous vous dépêchez donc de finir cette deuxième bouteille, plus petite que l’autre d’ailleurs, afin de ne pas rater la soirée évènement qui vous attend. Vous vous mettez d’accord avec Ricou et Fredo, vous consultez le plan une dernière fois, bref, vous savez où vous irez ce soir et vous voilà déjà dans la rue. Comme vous êtes Niçois, et fier de l’être, vous reprenez tous les chants nissarts dans la rue qui vous mène à la station de métro. Fredo râle un peu, car vous faîtes trop de bruit. Mais vous faîtes du bruit car vous êtes excité, vous sentez que cette soirée-là restera dans les annales…
Vous prenez l’avant-dernier métro. Comme il y en a pour quarante minutes, vous vous dîtes que vous avez bien fait de remplir le godet en plastique trouvé dans la salle de bain avec ce qu’il restait de la bouteille de whisky. Vous vous moquez des gens assis à côté de vous dans le métro, car le fait qu’ils n’aient pas penser à prendre un verre de whisky pour faciliter le trajet vous fait bien marrer. Vous savez qu’il y a une correspondance à faire, quelque part sur la Hibiya Line, mais cela ne vous préoccupe pas plus que ça, car vous savez que Ricou et Fredo resteront vigilants. Vous pouvez même vous endormir, une fois le godet terminé ; Ricou et Fredo vous préviendront quand il faudra changer.
On vous tape sur l’épaule, vous ouvrez un œil mais le refermez vite fait, car vous n’aimez pas être dérangé durant votre sommeil. Vous vous levez et vous recouchez dans la foulée, car vous êtes vraiment très fatigué. Vous rouvrez votre œil aussitôt, car vous pensez que vous êtes peut-être arrivé. Vous sortez ainsi du wagon, et comme vous ne voyez ni Fredo, ni Ricou, vous les attendez, ici sur le quai. Au bout d’un moment, vous vous dîtes que vous n’êtes peut-être pas au bon endroit. Un métro arrive, vous regardez un panneau, vous voyez trouble, ou triple, mais il vous semble bien que le panneau indique “Direction Shibuya”. C’est dans une boîte là-bas que vous aviez décidé d’aller ce soir. Donc vous vous immiscez dans ce métro, et sortez à la station suivante car vous avez vu écrit “Shibuya”. Vous l’avez même lu deux fois, et peut-être même trois.
Dehors, il pleut, et vous vous rendez compte que vous avez perdu votre casquette. Alors vous faîtes marche arrière, affrontez de face la foule et menez vos recherches. Déçu de ne l’avoir trouvé, vous entrez dans le bar le plus proche et commandez une bière. En plus, dehors, il pleut toujours. Vous ressortez, entre temps vous avez oublié le coup de la casquette, puis vous mettez à la recherche de cette fameuse boîte à Shibuya. Vous demandez votre chemin à quelques passants, mais personne ne sait. Et comme il pleut toujours, vous allez vous mettre à l’abri à l’intérieur d’une galerie qui n’a vraisemblablement pas été fermée ce soir. Vous êtes vraiment fatigué. Alors vous vous allongez, à même le sol.
On vous tape sur l’épaule. Vous dîtes, “Fredo, on est déjà arrivé ?”, mais le flic vous répond, “You can’t sleep here”. Vous ouvrez les yeux, vous êtes à la gare. Le soleil se lève, il est six heures. Vous avez raté une soirée qui s’annonçait mémorable. Par ailleurs, vous n’avez aucune idée de l’endroit où vous étiez. Enfin, vous ne savez pas non plus comment vous êtes rentrés à l’hôtel. Mais, à la sortie du métro, Eric et Fredo sont derrière vous. “Mais enfin, Jey, t’étais où ?! T’as fait quoi durant tout ce temps ?!”. “No comment. No comment”. Vous ne faîtes pas de commentaire, mais vous savez très bien. Vous accélérez le pas, jusqu’à ne plus entendre la voix de vos amis. Vous vous engouffrez dans votre chambre, il n’y a pas de temps à perdre, il vous faut dormir. No comment, mais vous savez très bien. Tokyo ne vous attend pas.