La caravane
Armand avait déniché un job, il bossait sur un chantier mais ça l’a vite gonflé ; dès le second jour il a démissionné. Laver les chiottes dans le backpacker pour avoir le droit d’y séjourner, ça aussi ça l’a rapidement saoulé !
Il a trouvé un truc bien meilleur : désormais, il dort dans une caravane en échange de deux heures de peinture par jour. Il vit là dedans depuis plus d’une semaine, et comme il n’a pas fait beau, il n’a toujours rien foutu… Donc pour l’instant c’est tout bénef’ pour lui ! De toute façon il ne peut pas peindre : il s’est servi des deux pots de peinture à sa disposition pour caler sa caravane. En plus de ça, le temps est bien trop mauvais pour faire de la peinture…
Sa caravane est géniale, idéalement placée, dans le jardin de la maison où logent Toto et Pilar, à une centaine de mètres de ma maison et à quelques blocs du centre-ville seulement.
J’ai raté l’inauguration (pour cause de week-end à Wanaka), mais depuis je me suis bien rattrapé. Les apéros qu’on se met à l’intérieur sont en train de marquer les esprits de tous les p’tits veinards qui ont eu l’occasion de boire au moins un verre dans ce magnifique capharnaüm qu’on atteint après avoir traversé l’espèce de marécage que constitue le jardin de Toto. Dans la caravane, la déco est faîte d’une boule disco, d’une raquette suspendue, de bouteilles de vins vides bien alignées au dessus du lit et de packs de bières déchirés.
Avant de boire un verre, il faut aller emprunter un godet vide chez les voisins. Il n’y a pas l’eau courante – pareil faut aller chez les voisins pour se servir un Ricard… En ce qui concerne les toilettes, Armand a décrété (et ce dès le premier soir) que ce serait tout autour de la caravane (ce qui ne satisfait vraisemblablement pas les Français dont la maison juxtapose la caravane !).
La musique crache de la vieille radio qu’Armand a chouré dans le logis qu’il partageait avec moi (je m’en tape, j’écoute uniquement la musique de mon ordi). « Caravane » de Raphaël est en train de devenir l’hymne officiel de ces soirées de folie. La chanson a beau être triste, on ne peut s’empêcher de reprendre en cœur « je suis né dans cette caravane », et quand on entonne ça à tue-tête, ça ne manque pas de gaieté !
Le top du top dans cette caravane, c’est de voir au milieu de tout ce bazar et de cet amas de poussière, les costards et les cravates d’Armand, soigneusement suspendus entre deux poubelles sur un cintre. C’est d’ailleurs marrant de voir Armand vivre là dedans. A l’origine, Armand vient d’une famille bien aisée ; à Paris, ou à Sèvres pour être plus précis, il vit dans une superbe demeure sur deux étages avec un beau jardin… bref il est habitué au grand confort, tandis que maintenant il se retrouve dans ce taudis où il n’a même pas l’eau courante.
La caravane a déjà ses habitués. Guillaume le Savoyard est toujours le premier sur place, et c’est beau jeu car il se ramène toujours avec un pack ou une bouteille de rouge. Moi aussi je contribue au réapprovisionnement, à coups de vins blancs et de bières blondes. Heureusement d’ailleurs qu’Armand peut compter sur le Savoyard et moi, car il n’a — et ce depuis fort longtemps — plus les moyens de s’acheter la moindre bouteille.
Dan, mon coloc’ anglais, est lui aussi devenu un fan de ces apéros caravane. Hier, il s’est mis une race d’anthologie — le pauvre il n’arrivait plus à sortir de la « prison », ce jeu stupide où les chiffres des dés nous dictent si l’on doit boire ou pas. Et ce après s’être pris plusieurs « vingt et un » en début de soirée (là aussi un jeu guère très fin où l’auteur d’un 21 avec les dès annonce quelle personne doit boire son prochain vert cul-sec). Ce matin, je l’ai vu sur son vélo (il est facteur) zigzaguant comme pas possible et balançant les lettres en vrac… Chapeau bas cher Dan, il fallait de la volonté pour aller bosser ce matin !
Les filles aussi apprécient la caravane, une caravane qui s’affirme peu à peu comme l’endroit en vogue de Christchurch. C’est ainsi que Marijn (la Hollandaise qui se trouvait dans la caisse au moment du crash), pour son unique soirée à Christchurch, a décidé de participer à un apéro caravane, et que Mira, notre dernière recrue (une Allemande des plus mignonnes), est venue dans la caravane pour sa première sortie en notre compagnie. Sophia, Mia et Mona, n’en parlons pas, ce sont déjà de vieilles habituées.
Robyn, la proprio (qui possède également pas mal de maisons à Christchurch), a dit à Armand qu’il pourrait louer une chambre dans une “vraie” maison quand il aura fini sa peinture. Il a refusé, et négocie actuellement la location de la caravane. Il compte en effet bien passer tout l’hiver dans cette caravane ! Entre nous, je le comprends.

