La vie en miniature
Enfant, j'étais fasciné par le dessin-animé "Les Minipouss" de Jean Chalopin. Quelle serait ma vie si j'en étais un ? Il me fallut un voyage au Pays du Matin calme et quelques bières de trop pour matérialiser cette question...
Un jour alors qu’on déambulait à Seoul, au lendemain d’une cuite prévisible (on y était avec ma dulcinée pour un mariage), on est passé devant une boutique geek dans un shopping mall ultra-moderne de la capitale sud-coréenne. Dans la vitrine s’agglutinaient des miniscules personnages tous plus facétieux les uns que les autres ; on aurait dit les descendants des Minipouss, mais non, ce n’étaient autre que les copies 3D des clients précédents.
Le regard complice de ma femme fit tilt. Et pourquoi ne passerait-on pas par la case imprimante à notre tour ? À cet instant-là, j’eus l’ingénieuse idée d’offrir une figurine de moi-même à ma mère. Elle qui se plaignait de ne jamais avoir de photo de moi, elle serait gâtée avec une représentation de son fils faite avec pas moins de 360 clichés !
Plus palpable, plus mobile et plus attachante qu’une photo, tout en étant moins maladroite, moins stupide et moins affligeante que votre serviteur, cette statuette représenterait sans conteste la meilleure version de moi-même. De quoi rendre heureuse la plus exigeante des mamans.
Inutile de dire que je ne regrette pas mon achat, bien qu’il m’ait coûté tout ce qu’il me restait d’argent de poche pour le séjour. Faut reconnaître qu’elle est fidèle, cette représentation ! Jean un poil trop long qui tombe sur des Van’s souillées ; bras ballants, mains enfoncées dans les poches ; casquette orange pastel des BC Lions vissée sur le crâne ; sans oublier le t-shirt gris anthracite « Melbourne » offert par mes parents au retour d’un voyage et que je porte religieusement toutes les deux semaines… cette figurine 3D est presque trop réelle pour être vraie. C’en est limite flippant !
Je dois reconnaître que sur ce coup, j’ai eu du flair. La statuette, mini-Jey comme je l’appelle affectueusement, est bien en place chez mes parents. Elle a longtemps trôné sur la belle et imposante commode de leur salon. Qu’est ce que j’en étais fier ! Entre un pot de fleurs et un portrait de ma soeur ! Juste devant une vieille photo de mes grand-parents et à proximité d’une maquette en plastoc d’un Dreamliner de Qatar Airways !
Parfois, quand je me rends chez mes parents alors qu’ils ne sont pas là, je prends un malin plaisir à promener mini-Jey de pièce en pièce pour qu’il nargue de toute sa petite hauteur le bas-monde qui nous entoure. Rares moments de communion entre Jey l’ignare et mini-Jey l’inculte. On se regarde, mini-moi et moi. Je me dis qu’il est beau, il se dit qu’il est moche. Nul besoin d’échanger pour se comprendre – mais bon sang où va le monde ?
De temps en temps, les réflexions philosophiques laissent place à des vagabondages des plus vivifiants. C’est ainsi qu’entre deux confinements, je me suis posé par l’intermédiaire de mini-moi au pied d’une plante sur le balcon et j’ai trouvé ça particulièrement rafraîchissant. J’étais si petit et si grand ! Si désinvolte et si sage ! Ma miniature contemplait l’horizon d’un air si confiant et si déterminé que la scène paraissait suspecte pour ne pas dire déroutante. Ce mini-moi pourrait presque tenir tête au plus téméraire des Minipouss !
Maintenant, la figurine de moi-même se trouve recluse dans une bibliothèque vitrée. Un Jey de poche qui protège des livres de poche tandis qu’un meuble mastoc protège un Jey de bric et de broc dont il ne reste sur la tête plus qu’un petit morceau du couvre-chef. Fin de carrière quelque peu ingrate pour ce vadrouilleur hors-pair et sans reproche. Cela étant dit, je trouve la captivité dans une bibliothèque vachement chouette comme concept. Comme quoi, mes parents aussi ont du goût et des idées, mais ça pour être franc, je n’en ai jamais douté.
Allez, encore une bière et je reviendrai avec d’autres histoires !